Je ne vais pas vous refaire toute l’histoire, simplifions en disant qu'à la fin des années 80, Atari a vendu 27 millions de consoles VCS contre 2 millions de Videopac sous différentes marques suivant les pays.

Atari possédait les meilleurs programmeurs de son temps qui alignaient les hits en arcade avant de les vendre en cartouches pour y jouer chez soi, tandis que Philips, avant tout fabricant d'électroménager, s'était lancé dans l'aventure du jeu vidéo avec (c’est une histoire vraie) seulement deux personnes au développement des softs : un ingénieur informatique de génie, Ed Averett, qui avait pour mission de coder des imitations des jeux à la mode, plus un avocat qui vérifiait à ce que le résultat soit juste assez différent pour ne pas être attaqué légalement.

« Maman, est-ce que je peux jouer à Space Invaders ? Non, On a déjà Space Monster à la maison... »

Le géant américain laisse faire jusqu’en 1981 à la sortie de KC Munchkin "Glouton et Voraces" en VF, le clone du hit Pacman, qui a l'audace d’être nettement mieux réalisé que la cartouche officielle codée à la pisse pour sortir pour noël sur VCS. La réputation d'Atari est en jeu et ce coup-ci, c'est dépôt de plainte. Apparemment, colorer Pacman en bleu et lui ajouter des antennes n’est pas suffisant pour éviter l'accusation de plagiat et Philips/Radiola/Schneider/etc... doit se coucher et rappeler toutes les cartouches produites.

Mais l'affaire ne s'arrête pas là : à la surprise générale l'industrie européenne se la joue "round 2" l'année suivante avec le retour du glouton bleu dans un deuxième opus : "Krazy chase!" ou "Super Glouton" en français, dont la jaquette annonce fièrement une cartouche de compète avec, tenez-vous bien, 4 ko de mémoire.


L'adorable boule bleue avec des antennes est de retour mais il se déplace dorénavant en roulant au lieu de faire des bruits de bouche. Fini les gaufrettes en lévitation, on a bien compris la leçon : c'est maintenant un duel à mort dans le labyrinthe entre le glouton et le "dratapillar", un mille-pattes géant qu'il faut dévorer vivant, anneau par anneau, en évitant la tête souriante mais venimeuse. Le myriapode et les petits arbres qui poussent dans le labyrinthe n'ont bien sûr aucun lien avec le jeu "Centipede" qui fait alors les beaux jours de l'Atari VCS, et les deux acolytes du boss ne sont absolument pas des fantômes puisqu'ils se déplacent sur deux pattes.

A raconter ça parait un peu tiré par les cheveux mais dès qu'on prend le joystick c'est juste super : exactement le même fun immédiat que parcourir un laby en semant ses adversaires avec la petite pointe d'adrénaline bonus de courir littéralement après la mort.
On découvre assez vite que la meilleure défense c'est l'attaque, on essaie d'anticiper les déplacements de la grosse chenille puis on découvre que plutôt de lui courir après, une escarmouche au plus près de la tête est la technique gagnante : le monstre laisse sur place ses anneaux qu'on a plus qu'à dévorer goulument. Quand il ne reste plus au grand ver que sa tête pour pleurer le niveau est terminé : le jeu se fige et avant de lancer le niveau suivant, le Munchkin vous fait un grand sourire assorti d'un joli clin d'oeil du genre "Bien joué ! Atari peut aller se faire voir ! Gloire à Satan, brûle-les, brûle-les tous" (en tout cas c'est l'interprétation que j'en avais faite au psychologue scolaire à l'époque)

Il est bien difficile aujourd'hui de se mettre dans le bon état d'esprit pour se mesurer aux jeux vidéo du début des années 80. On a tendance à se dire que c'était la foire aux gros pixels, que tout était moche et répétitif mais que les gosses n'avaient que ça à se mettre entre les mains. Rien n'est moins vrai : même à l'époque on voyait bien la différence entre les bons et les mauvais jeux, les prouesses graphiques et les bouillies indistinctes et vous savez quoi ? Rejouer à Krazy Chase! aujourd'hui reste exactement la même expérience : l'action est lisible et frénétique, l'animation fluide, les borborygmes sonores du Videopac rythment le tout à la perfection. En un mot comme en cent, c'est toujours un bon jeu.


Maintenant si j'en crois mes dossiers, l'éditeur japonais Namco a sorti en 2016 un jeu nommé "Pacman Championship Edition 2", dont le principe repose sur le fait d'avaler des files de fantômes en passant par derrière. Ca ne vous dit rien ? J'ai appelé les avocats de Philips, il y aura des suites légales, vous pouvez me croire.