C'est assez difficile à croire aujourd'hui mais à l'âge d'or des salles de jeux, on ne trouvait pas que des bornes à shoot et beat'em up pour insérer ses précieuses piécettes. Quelques jeux de plates-formes, courses automobiles au joystick et jeux de sport s'intercalaient souvent entre les machines à panpanpan et boumboum. En 1996 les bornes MVS voient arriver deux productions marquantes signées par la mystérieuse Nazca Corporation, nouveau développeur dissident du groupe japonais IREM. Le premier c'est Metal Slug, rien que ça (mais nous y reviendrons un autre jour...) et l'autre est donc un jeu de golf : Neo Turf Masters. Dit comme ça, ça ne paraît pas très engageant mais il y a quelque chose dans la démo, dans les digits vocales enthousiastes et dans la tonalité verte diablement attirante du tout qui donne irrésistiblement envie de l'essayer. 

En deux ou trois menus on est déjà conquis, la borne semble concilier à la perfection la (relative) complexité d'une simulation sportive à l'efficacité d'un titre arcade. Sur une musique groovy et enthousiaste, on vous propose un roster de 6 joueurs internationaux, chacun bénéficiant de compétences particulières sur les parcours. Difficile de choisir à la tête, aucun Apollon à l'horizon, on se concentrera donc sur la nationalité ou les statistiques. Après ça, on choisit son parcours sur les 4 disponibles, tous apparemment plus beaux les uns que les autres (ça compte) entre la douceur des Alpes et la poésie des cerisiers du Japon, et hop, pas de problème de passeport ou de jetlag, on entre directement dans le vif du sujet, les deux pieds dans l'herbe et un club en main.

Et on s'arrête une seconde pour profiter du spectacle parce que, mazette, c'est vraiment super joli, la technique d'affichage de sprites dont on annonce pourtant déjà la mort à l'époque est ici simplement rayonnante. Le gazon affiché en parallaxes est sublimement vert, le ciel est divinement bleu avec des détails et des dégradés qu'on croirait sortis d'un tableau de la renaissance italienne. Nonnonon, je n'exagère pas. Pas un seul arbre polygonal de l'époque ne peut rivaliser avec ces dessins pixelisés magnifiques.

L'interface n'est pas en reste, l'écran affiche absolument tout de manière limpide : la totalité du parcours sur la droite, la direction et la force du vent juste en dessous, la position des pieds, le club utilisé et la distance avant le trou placés juste en bas. Et juste là, en bas à droite, les barres de force et de précision à valider pour faire son tir. Un petit regard en zigzag et hop, on est au courant de tout ce qu'il faut savoir. Un clic, deux clics et hop, la balle s'envole joyeusement dans un joli effet de zoom au dessus du parcours pour atterrir précisément où on voulait (ou non, et c'est toute la beauté de la pratique). Une voix acidulée enthousiaste commente le coup, on a l'impression d'être admiré même quand on a raté dans les grandes largeurs.

L'arrivée sur le green trahit quand même le fait qu'on est pas sur une simulation pointue : peu de relief, le repère indicatif sur la barre de puissance est juste à 99% et le jeu est très généreux en matière d'approche finale, c'est quasiment impossible de toucher le drapeau ou de dévier quand on a un peu bourriné. On est, je le répète, sur un jeu d'arcade et c'est finalement toute la beauté de la chose taillée pour une utilisation express qui impose un rythme endiablé et oblige à jouer vite et bien. Enchaîner les pars n'amène finalement qu'au game over, il faut se concentrer, donner le meilleur de soi-même et arracher birdy après birdy si l'on veut conclure la totalité du parcours sans vider son portefeuille. En plus, voir cette petite animation fugace où le public applaudit à tout rompre un beau coup, c'est une petite décharge d'endorphines qui rend immédiatement accro.


Neo Turf Masters est chaleureux, simple et direct, il encourage la vivacité et récompense l'audace, aucun jeu de golf n'était comme ça avant lui et euh, aucun jeu de golf n'est comme ça non plus un quart de siècle plus tard.

C'est une alchimie faussement évidente que personne ne semble avoir voulu reprendre. Aucune suite n'est jamais sortie, aucun développeur indépendant un peu fainéant pour copier/coller la formule. On peut acquérir le jeu tel quel sous licence officielle SNK sur absolument tous les supports dispos à l'heure où j'écris ces quelques lignes (ce que je vous recommande bien vivement si vous n'aviez pas encore compris) et jouir aujourd'hui de sa fraîcheur comme aux premier jours, mais Neo Turf n'aura probablement jamais d'héritier.

Destin grandiose et tragique d'une oeuvre absolument parfaite dont le plus grand défaut réside dans sa nature même. Sans déc', qui s'intéresse vraiment au golf à part... les golfeurs ?