On pourrait la jouer directe et efficace en disant que Hadès est un rogue like, un amoncellement de donjons aléatoires, mais ce ne serait que la moitié de la vérité. L'intro du jeu est assez rafraîchissante, car elle a le courage de vous envoyer directement au cœur de l'action avec juste le minimum d'infos pour passer quelques salles pleines de monstres. Pas d'intro spectaculaire en CGI, pas de scénar interminable : direct au casse-pipe au fin-fond des enfers de la mythologie grecque.
La jouabilité est immédiatement remarquable, notre avatar à l'écran dashe et enchaîne les combos à la moindre pression. On se sent vif, on se sent fort, on se dit qu'on va vraiment aimer ce jeu et… Une erreur bête, on marche sur un piège à pointes ou on se fait tailler une croupière par trop de monstres à la fois, bref, on crève bêtement.
Retour (arrivée, en fait) à la case départ : notre héros est repêché dans une piscine de sang au palais de Hades, prince des enfers. C'est là que le scénario commence réellement : on comprend vite que Zagreus (le héros) est le fils du Big Boss et aussi qu'il est en pleine crise de révolte freudienne. Un seul but : quitter l'enfer, voir enfin la lumière du jour. Une bonne engueulade paternelle et hop, on est reparti. Pièce après pièce, combat après combat, bien sûr qu'on va plus loin, mais en fait pas beaucoup plus. On se retrouve fatalement à zéro point de vie et retour à la case départ et un petit discours humiliant du paternel.
C'est là qu'on commence à rencontrer le petit personnel du palais : un dieu qui fait la compta, un ancien héros mythologique, la déesse de la nuit… Quelques lignes de dialogue, quelques encouragements bienvenus, on apprend à connaître le caractère de son personnage tout autant que ceux des habitants des profondeurs.
Et c'est l'heure de repartir au charbon : nouvelle tentative d'évasion. Le donjon n'est pas si complexe que cela, c'est un peu toujours les mêmes pièces et les mêmes monstres qui apparaissent, à ceci près qu'on peut choisir plusieurs sorties en fonction des trésors divins qu'elles renferment. C'est là l'aspect "loterie" du jeu et l'intérêt principal du genre : devoir composer à chaque partie avec ce qu'on nous donne.
Après avoir nettoyé la pièce, donc, apparaît le sigle d'un dieu Olympien. Ça va d’Athéna à Zeus, toute la grande famille dysfonctionnelle est présente. Chaque divinité vous assure, la main sur le cœur, son soutien indéfectible dans votre noble quête d'évasion et vous fournit pouvoirs et bonus en rapport avec son domaine de prédilection. L'équilibre de jeu est absolument remarquable : rien n'est jamais trop puissant ou au contraire redondant : un coup on pioche agressif chez Arès ou Artémis, un autre coup on se protège avec Athéna ou on la joue mobile grâce à Hermès. On trouve bien sûr également des items monétaires dont on ne sait pas trop quoi faire au début : argent, gemmes, clés, fioles de sang… Autant d'éléments qui seront vite investis dans l'amélioration des capacités, mais pas que.
Et… Nouveau retour à la case départ. Nouveaux personnages, nouveaux dialogues qui se renouvellent sans fin. En quelques heures le fait de mourir n'est plus une corvée mais devient une nécessité, voire un plaisir, celui d'apprendre les nouveaux ragots du palais ou de faire de savoureux échanges avec ses camarades de l'outre-monde. Les encouragements modestes du héros Achille, la sagesse bienveillante de Nyx, incarnation maternelle de la nuit, les blagues pourries d'Hypnos… A ce niveau on en arrive même à se sentir un peu chez soi chez les damnés mais rien n'y fait, Zagreus n'a bien qu'une seule idée en tête, un seul destin : fuir les enfers une bonne fois pour toutes.
Alors Hades ? Deux ans de calibrage en early access et 5 récompenses aux BAFTA britanniques en 2021, dont le prestigieux titre de "jeu de l'année", ça n'est pas rien. Alors on plonge, un peu par curiosité, pour vérifier si le buzz est mérité.
On attendait un jeu d'action précis et sophistiqué, et de ce point de vue on en a pour son argent, même s'il est bien flagrant que le jeu triche, qu'il est tout simplement impossible de s'échapper de l'enfer à sa première partie.
Quant à l'économie virtuelle à multiples niveaux, elle obligera les puristes à y revenir des centaines de fois pour bien tout débloquer, mais en fait on pardonne tout pour l'écriture élégante et nostalgique, appuyée par des designs de toute beauté. Modélisation 3D ? Animations en CGI ? Square et Capcom auraient des choses à apprendre : pourquoi claquer des millions en animation quand des dessins sublimes peuvent prendre vie grâce à la magie d'un casting vocal impeccable ?
Jean-Paul Sartre écrivait "l'enfer, c'est les autres", et c'est précisément l'opposé que nous démontre le studio Supergiant. Gloire à eux et à leurs descendants.