Capcom a misé gros sur Nintendo (spoiler : c'était une erreur commerciale), Resident Evil 4 est donc une exclu (temporaire) sur le Gamecube, petit monstre de puissance violet. Ca tient sur 2 mini-DVD, on s'attend à beaucoup de contenu donc. On plante le premier disque dans la machine et on met le jus. Le cube guilleret de la console tintinnabule à l'écran, c'est la dernière chose joyeuse qu'on va voir pendant longtemps.

L'intro, elle est déjà étonnante : c'est le premier opus de la série qui utilise le moteur du jeu pour les cinématiques. Pas d'acteurs en cosplay, pas de CGI, le moteur graphique est assez performant pour tout faire. Et cette entrée en matière est d'autant meilleure qu'elle est pour une fois de courte durée : quelques échanges en voiture entre le héros androgyne et deux flics espagnols pour fixer les enjeux scénaristiques (sauver la fille du président américain, rien que ça) et hop, on prend le contrôle et c'est balade dans les bois automnaux.

Quelques pas avec le stick de direction on comprend qu'il se passe quelque chose d'important. Fini le balai dans le séant et le perso qui pivotait à 10 à l'heure, ici ça répond au doigt et à l'oeil et quand on veut aller à droite ou à gauche, on y va simplement. Une nouveauté, marquante aussi : la caméra est placée dans le dos juste un peu en retrait, on voit bien son protagoniste mais sans que ça gêne la vision des alentours et quand on vise avec le flingue, ça zoome juste au dessus de l'épaule pour qu'on se concentre sur la visée. Jusqu'à présent les jeux proposaient soit de voir ses mains soit de contrôler un nain de jardin ; Mikami propose le juste milieu et c'est absolument parfait.

En fait on a même pas l'impression de jouer à Resident Evil. Le premier ennemi marche d'ailleurs pas mal sur cette ambiguïté en prenant la fameuse pose du nécrophage qui se retourne du jeu original, sauf que c'est un vieux paysan agressif. Une fois abattu, un petit commentaire lourd de sens "ce n'est pas un zombie...".

La mise en scène est d'une efficacité redoutable. D'abord un adversaire pour apprendre à tirer, puis plusieurs pour apprendre à esquiver. On ne sent certainement pas bienvenu dans cette vallée hispanisante d'autant que la forêt est jonchée de crânes humains et de pièges à ours. Une tension terrible règne mais pour une fois on a pas trop l'impression d'être une proie facile car les munitions sont trouvables à foison. On peut enfin se permettre de gâcher un peu ses balles et mieux encore, d'être inventif avec la visée : pan! dans le visage pour maximiser les dégâts, pan! dans le genou pour couper l'élan de l'hystérique qui nous fonçait dessus, mais aussi pan! dans les mains du monsieur qui jouait avec un bâton de dynamite. C'est affreusement violent mais surtout dynamique et vraiment fun.

L'arrivée au village une dizaine de minutes plus tard est à ce titre un de ces moments inoubliables de l'Histoire du jeu vidéo. On vient d'abattre une dizaine de pécore enragés et on commence à s'enhardir. Une petite coupure cinématique pour constater qu'on a jamais vu un hameau dégueulasse aussi bien modélisé, et aussi qu'il y a quand même pas mal de monde à vaquer sur la place. On commence déjà à chercher un itinéraire bis pour éviter la confrontation et bam, on est repéré, coincé, et tous les habitants sortent les fourches. Quelques maigres coups de pétoire n'arrêteront pas la foule alors on se met à courir avec la peur au ventre, comme un jeu de Pacman macabre entre les maisons lépreuses. Finalement, il reste quand même un point commun avec les vieux Resident Evil : c'est toujours du survival horror.

Après ça (spoiler : on survit), ça ne fait que monter en gamme, comme une balade dans le meilleur train fantôme du monde : le level design se subdivise en une myriade de saynètes, chacune apportant un nouvel environnement, une nouvelle épreuve, un nouvel adversaire, une nouvelle énigme ou une nouvelle règle à respecter. Une surprise toutes les cinq minutes, ça ne s'arrête jamais, impossible de s'ennuyer, même l'écran d'inventaire est un mini-puzzle qui demande quelques onces de réflexion afin d'optimiser la place des items. Dernière nouveauté et pas des moindres : la boutique ambulante qui encourage à fouiller partout pour revendre des trésors et permet au joueur de choisir son style de jeu au travers d'un joli panel d'armes, du couteau au fusil de sniper ou au shotgun. Je parie que vous avez rarement ressenti autant de soulagement en voyant apparaître un mec aussi louche que le marchand.

En écrivant ça les flash traumatiques remontent : le bruit de la tronçonneuse au loin, le cimetière pluvieux de nuit, le triton du lac, les rires des moines maléfiques, les cris de Ashley en train de se faire enlever pour la quarantième fois, ces saletés d'insectes géants mimétiques, ce nain horrible et le pas traînant des regeneradores. Une mosaïque de sensations pour une symphonie de l'horreur qui pose à elle seule les bases du jeu d'aventure moderne et influence encore la série à ce jour.
Et cet ultime pied de nez au générique de fin (spoiler), lorsqu'on découvre le passé du village maudit sous forme d'illustrations de contes de fées, cruelle pépite d'émotion dissimulée sous 50 kilos d'adrénaline...