Le studio Grasshopper au générique, c'est un peu comme un panneau routier triangulaire pour le monde des jeux vidéo : faites gaffe !! Sauf qu'au lieu de lever le pied pour cause de passage de daims, de sangliers ou d'élèves de maternelle, il faudra se confronter à des bizarreries et de l'humour absurde. Les initiés connaissent déjà la propension du studio japonais à concocter des expériences ludiques volontairement hermétiques (= imbitables) convoquant tour à tour Marcel Duchamp ou David Lynch. "No More Heroes", "Killer 7" ou "Michigan", si vous avez pratiqué, vous saurez de quoi je parle.

Mais point de David Lynch ce coup-ci, Grasshopper tente de séduire le grand public en convoquant les mânes de Tarantino, Romero et Whedon afin de produire le produit fan-service le plus pulp et les plus accessible possible : la "sucette tronçonneuse", saga familiale narrant les exploits de Buff... uh, Juliet Starling, pom-pom girl à peine majeure (barely legal -clin d'oeil, clin d'oeil), descendante d'une lignée de tueurs de zombies qui se retrouve, oh surprise, en pleine apocalypse zombie. Genre, le retour des morts vivants avec des couleurs criardes et un cheat-code pour avoir la tronçonneuse.
L'action commence au milieu de la San Romero High School (clin d'oeil, clin d'oeil), envahie de morts vivants cannibales. On est déjà chaud-bouillant derrière sa manette pour découper façon puzzle un maximum de marcheurs et la caméra tourne une dernière fois autour de l'héroïne avant de nous en laisser le contrôle et, oh purée, la fille a un cul de souris et des jolies jambes mais on a l'impression qu'elle pèse 300 kilos et qu'elle assène ses coups de tronçonneuse au fond du grand bassin à la piscine. C'est peut-être qu'on a trop joué à Bayonetta ou Devil May Cry mais cette pauvre Juliet se traîne comme une poupée gonflable pleine de mercure. On se rappelle soudain qu'on savait très bien qu'on ne se lançait pas dans un AAA, alors on enchaîne ses combos à la tronçonneuse un peu en apesanteur et on se dit qu'on attend de finir le niveau avant de revendre (ou non) le jeu en occase. Les morts vivants bouffent de la tronçonneuse, les gerbes de sang se mêlent aux étoiles de combo genre Magical Girl, on sauve un ou deux otages et quelques répliques débiles égayent un peu le massacre, dont un très beau "Hé taré, ne regarde pas sous ma jupe", subtile mise en abîme lancée à un zombie cul-de-jatte qui s'adresse en réalité au joueur qui a claqué 60 euros justement exprès pour ça.
Et soudain, c'est le drame : Nick, le petit ami de notre héroïne, est mordu par un zombie. Il s'effondre au sol dans les bras de sa dulcinée et avant de mourir, lui déclare sa flamme dans un moment à la fois merveilleusement romantique et ridiculement guimauve. Nick meurt alors dans les bras de Juliet et c'est le panneau noir "Fin" qui tombe... Ou pas ? Nick se réveille dans les bras de la pom-pom girl de son coeur et... On ne saurait dire si le jeu conjure le pire cauchemar ou le fantasme absolu d'un otaku, mais dorénavant, le petit ami de Juliet n'est plus qu'une tête qui pendouillera à la ceinture de sa chérie.
Tout ça n'est pas fini, on a toujours pas terminé le premier niveau... Encore toute l'école en flammes à traverser; salle de classe après salle de classe. On ne peut pas dire qu'on s'ennuie parce que c'est plein d'action et que Juliet et Nick enchaînent les répliques amusantes mais, bon, on est quand même loin de la prestance et la légèreté de euh, au hasard, Bayonetta. On arrive finalement au premier boss, un super zombie chanteur punk qui gueule sur scène devant un public de headbangers décédés. C'est bien un cas où les mots peuvent être blessants puisque oui, quand il vous gueule dessus d'élégants "cocksucker" ou "fucking bitch", les lettres se matérialisent pour de vrai avant de vous foncer dessus. Le combat n'est pas bien difficile hein, mais quand même un peu long, on arrive finalement à lui faire fermer sa gueule (je ne vous fais pas un dessin, c'est pas joli-joli). Après ça c'est intermède scénar obligatoire et ça continue, en gore et en gore, ce n'est que le début ? D'accord, d'accord.
On aura beau tourner les choses sous tous les angles, Lollipop Chainsaw n'est pas, ne sera pas, et n'a jamais été conçu pour marquer l'histoire du jeu vidéo. Les japonais sont les rois de ces produits calibrés pour se vendre aux puceaux et lancer de juteuses licences à produits dérivés. Mais pourquoi êtes-vous donc toujours en train de me lire alors ? Il y a cette fois-ci un grain de sable, une petite pointe d'inattendu qui rendra quand même le jeu important à sa façon, c'est le nom du scénariste. A l'époque, il est un peu connu dans le monde des fans de films d'horreur pour avoir travaillé au mythique studio Troma ( les créateurs du Toxic Avenger) et sort tout juste de la réalisation du film "Horribilis", épatante invasion de sangsues mutantes.
Dans deux ans, James Gunn va réaliser les Gardiens de la Galaxie pour le studio Marvel, rien que ça, et pratiquer Lollipop c'est un peu se faire les jambes avant d'aller dans l'espace. Le jeu préfigure à sa manière le style Gunn avec son ton irrévérencieux permanent et une programmation musicale de la mort qui tue. Le "cherry bomb" du générique tiens, on le retrouve tel quel chez Marvel à la formation des gardiens. En se penchant un peu sur le casting vocal, on retrouve également quelques noms bien trop talentueux pour avoir été engagés au hasard : Tara Strong, craquantissime voix de Harley Quinn, Michael Rosenbaum (Lex Luthor dans Smallville), Linda Cardellini (Scooby-doo, Watchmen et tant d'autres) et oooh, Monsieur Michael Rooker lui-même, plus connu sous la peau bleue de Mary Popp... hum, Yondu le chef des Berserkers. 

La qualité d'une expérience peut-elle être supérieure à la somme des éléments qui la constituent ? C'est la définition même de l'art, en fait, et s'il y a quelque chose à retirer de Lollipop Chainsaw, c'est qu'il est en quelque sorte le brouillon de très grandes choses à venir. Après ne crachons pas dans la soupe, le plus gros reproche qu'on peut faire au jeu n'est finalement que d'arriver un peu tard après d'autres chefs d'oeuvre du genre. On rigole bien à tronçonner les morts et mater des culottes, les vannes sont permanentes et hilarantes et si la jouabilité avait été un poil moins rigide, gageons qu'on le verrait plus souvent dans les listes putaclics sur youtube des 20 jeux meilleurs jeux oubliés sur 360/PS3.