Depuis que Super Mario Bros a bétonné les fondations du genre, tous les jeux proposent par défaut le même voyage : aller de la gauche vers la droite en sautant au dessus des pièges, et c'est bien ce qu'on fait dans Limbo, attiré par l'Est comme un phare hors-champ qui nous apportera fatalement toutes les réponses. Pour l'instant en fait, on a même pas beaucoup de questions en tête, fasciné(e) par ces décors minimalistes d'arbres et de brumes lointaines, vaguement floutés comme par l'objectif d'une antique caméra de cinéma expressionniste.

On marche décidément beaucoup dans Limbo, et pour l'instant aucun simili-goomba pour entraver sa progression. On arrive à une espèce d'échafaudage en bois, il faut déplacer une caisse pour monter dessus. Ah ! Limbo est donc aussi un jeu de réflexion. On descend une corde, on fait un bon saut au-dessus du vide, quelques acrobaties pas bien méchantes et nous voici face à un lac où l'on embarque sur un petit esquif. La traversée est calme, contemplative. On commence à sentir que le jeu a de réelles ambitions artistiques.

Les mécanismes de jeu s'imposent l'un après l'autre : pousser des objets, escalader, revenir en arrière pour échapper à un piège. Ecran après écran, on succombe doucement à la poésie de cette forêt oubliée et paisible.
Et c'est là qu'apparaît le MONSTRE.


J'insiste bien sur l'utilisation du mot en capitales parce que cet arachnide géant, vous l'emporterez avec vous dans vos cauchemars. Pas de cri ou de cliquètement, pas de démonstration exubérante de force, pas même d'apparence puisque on n'en aperçoit que les pattes démesurées. Le monstre est calme et patient, il déplie paresseusement ses griffes pour vous embrocher soudain la tête à la vitesse de l'éclair.
On meurt une fois ou deux puis on prend enfin les choses en main : l'indicible est finalement un puzzle comme les autres qu'on finit par résoudre, patte par patte.


On se dit qu'on a fait le plus gros, on a tort, terriblement tort : le voyage dans le monde de Limbo ne fait que commencer. On y croisera des enfants sauvages, des parasites et des machines de mort. Pour avancer, vous devrez vous surpasser physiquement et intellectuellement. Pour survivre, vous ferez des choses dont vous aurez honte.

Limbo est un voyage au bout de la solitude dans un pays des merveilles à l'envers, une randonnée tragique et  bouleversante traversée d'éclairs d'humour (très très) noir alors que notre petit héros succombe des façons les plus pathétiques comme dans les meilleurs ouvrages de Edward Gorey (cherchez le nom, ça vaut le détour).


Je crois bien me rappeler avoir lu pour la première fois l'expression "die and retry" pour qualifier ce jeu à l'époque. Les vies limitées, c'était soudain la préhistoire, le ludique est devenu inclusif, tout le monde pouvait finir un jeu à force d'essais ; les enjeux distractifs dorénavant tournés vers la narration, tacite ou forcée, vers l'"expérience utilisateur" comme disent les marketeux.
La place (immense) de Limbo dans l'histoire du jeu vidéo ne se jugera cependant pas sur son fond (action-réflexion), bien qu'infiniment réussi, mais sur sa forme artistique sublime, sa narration intégralement visuelle à base de symboles et non-dits.

Le studio danois Playdead double la mise six ans plus tard avec "Inside", visuellement bien plus ambitieux mais aussi sinistre et contemplatif que l'original.

Bon, si on fait le compte, le Japon a créé Mario, l'Angleterre, Lara Croft et la France a fait Rayman. On ne sait pas à quoi ils tournent à Copenhague mais si j'étais vous, je me méfierais...