La presse vidéoludique du moment est plus circonspecte. Le très sérieux journal de référence « Tilt » ne fait même pas le test du ludiciel à sa sortie. C’est qu’à l’époque le jeu vidéo est un truc sérieux qui ne se fait que sur ordinateur : les consoles de jeux japonaises viennent juste d’arriver et sont considérées au mieux comme des gros jouets. Plusieurs mois après la sortie, quelques pages d’aide de jeu sont publiées, même si la mention minuscule en bas de page, « publi-rédactionnel » témoigne que l’initiative ne vient pas du journal lui-même.

Un jeu d’aventure à cette époque, ça se mérite. Déjà, ça ne se joue qu'à la souris et au clavier sur des machines hors de prix, le PC ou le Mac de papa pour la comptabilité, ou un Amiga/Atari ST pour les gosses de bourges.

Les grands titres du moment essayent d'émuler la magie des parties de jeux de rôle papier et s'appellent Ultima, King's Quest, Faery Tale Adventure ou Dungeon Master. Des aventures complexes, des univers flamboyants et inoubliables.

Et que propose le challenger japonais ? Pas de chevalier ou de magicien à l'écran, on ne choisit pas son avatar non plus, on ne commande pas toute une équipe valeureuse, non. Perdu au milieu de l'écran de télé, un petit perso cubique, une espèce d'elfe armé d'un bouclier et d'une épée en bois.

Et allez on se balade dans les forêts en donnant des coups à des pieuvres en meute qui crachent des cailloux. Piou piou piou. Pas de scrolling, on passe d'un écran fixe à un autre écran fixe. On avance un écran après l'autre en cognant sur des insectes ou des espèces de gobelins. Les monstres et les petits arbres qui font le décor semblent avoir été dessinés par un gosse de 8 ans.

À une époque où un Amiga peut afficher plusieurs milliers de couleurs, les palettes limitées de la NES ont encore du mal à enflammer l'imagination des connaisseurs. Certes, Zelda n’est pas joli, mais il a du charme à revendre. Très facile d’accès déjà, ce qui est une rareté pour les jeux du moment, avec une jouabilité au millimètre pour les déplacements et le combat.

Et même s'il n'y a pas de système de magie ou de gestion des armes et armures, on découvre assez vite que sous des dehors naïfs, le monde à explorer est immense et cache pléthore de mystères.

C'est alors qu'on réalise le premier coup de génie des Japonais. Les écrans fixes sont une invitation tacite à cartographier sur du vrai papier le royaume d'Hyrule, comme un vrai aventurier.

Après qu'on a circonscrit son environnement, vient la découverte des donjons : changement d'ambiance, musique nostalgique et macabre, et nouveau coup de génie. L'aventure ne propose pas d'accumuler or et l'expérience en arpentant des cavernes, mais impose au joueur un thème précis par donjon, un mini labyrinthe à résoudre pièce par pièce qui propose un problème (arriver au boss) et la solution (un objet qui procure de nouvelles capacités) dans le même espace limité.

Plutôt que d'améliorer ses capacités comme dans un jeu de rôle papier, notre elfe minuscule étend le champ de ses compétences grâce à chaque nouvel objet.

Arriver au boss est une victoire, le vaincre est un triomphe quand notre avatar en trois couleurs porte alors à bout de bras un nouveau cœur à ajouter à son endurance. La légende de Zelda n'est pas un vrai jeu de rôle, mais il brouille les pistes, reprend les codes. On a pas encore de terme pour désigner ça, on finira par appeler ce genre les jeux d'aventure.

Sinon, eh bien… La fin du jeu est honnêtement pas terrible (on se contentait de peu à l'époque), un message un peu bateau pour dire qu'on a sauvé le monde et le générique de fin : un casting de 8 programmeurs seulement, dont Shigeru Miyamoto, au nom mal orthographié. Mais quelle fierté ! L'impression d'avoir triomphé par sa propre intelligence et sa dextérité.

 

Le monde est plus simple alors, les rageux, haters, les ayatollahs de la stat' et la PC Master Race n'ont pas encore de réseau pour y déverser leur mépris envers la différence et le progrès. Et en fait, tout le monde aime Legend of Zelda à l'époque, c'est un jeu qui fait acheter des consoles et la première expérience de l'héroïc fantasy pour des millions de gosses qui joueront plus tard à Final Fantasy 7 à Skyrim et à Dark Souls (et leur engeance à Fortnite, mais c'est une autre histoire…).

Apparemment, on fête les 35 ans du jeu cette année. Je n'ai jamais vu un Famicom Disk System de ma vie…