Ce ne sera ni la première ni la dernière fois que j'invoquerai ici le souvenir des défuntes salles d'arcade. Cette ambiance cacophonique et concentrée, ces moments divins, suspendus dans le temps, où l'on parcourait du regard les écrans miroitants des machines à la recherche de celle qui nous donnerait du plaisir, qui serait digne qu'on y place ses pièces d'argent durement gagné.
Les beat-em up de Capcom étaient à ce titre de vrais pièges à fric dans les années 90. Plus ou moins toujours le même jeu sur format CPS 1 ou 2 mais peaufiné à mort et toujours prenant place dans un univers insolite et grandiose. Final Fight, Knights of the Round, Captain Commando, Warriors of Fate, Dungeons and Dragons, Cadillac and Dinosaurs, Battle Circuit ou Punisher... n'importe lequel de ces titres serait (sera ?) digne d'un article détaillé.

Un beat-em up Capcom c'était la promesse d'une dose massive de fun et un système de combat bien connu ultra classique à la jouabilité parfaite, comme explorer un nouveau chemin dans ses vieux chaussons. On avait déjà affronté des gangs mutants et des orcs ou des braconniers mais là, quand en 1994 on voit l'écran d'intro "Alien vs Predator", wahou, juste wahou. Il faut se rappeler qu'on avait pas les Avengers en live à l'époque, la notion même de crossover entre deux univers ciné semblait inconcevable, à la limite du contre-nature (oui, le monde a bien changé...).

Rien qu'à l'intro, on est déjà converti : nous sommes dans un future proche. Toute la côte Ouest des Etats-Unis est occupée par les aliens.... Toute ? Non ! Deux irréductibles soldats résistent encore et toujours à l'envahisseur. Et la vie n'est pas facile pour les xénomorphes quand arrivent deux guerriers Predator pour prêter main forte à nos héros.
Le scénariste japonais ne sera jamais nommé aux Oscars mais on admire le culot de l'entreprise d'enfin donner aux fans ce qu'ils veulent, à savoir conduire la guerre spatiale directement chez nous, entreprise trop chichement tentée par le cinéma quelques décennies plus tard.

Le roster tient bien le choc des attentes soudain insensées des joueurs : l'obligatoire jolie japonaise ninja, deux énormes Predators top-classe avec ou sans casque et une chouette surprise pour les cinéphiles, le retour inattendu du héros du premier Predator, mais transformé en benne à béton, euh, en cyborg de combat.

Et c'est parti pour le premier niveau dans les ruelles meurtries d'une mégalopole abandonnée. Dès le premier écran, on est frappé par le nombre d'adversaires à l'écran, Capcom maîtrise son architecture CPS2 à la perfection et tient à le faire savoir : ça grouille littéralement d'aliens. Les graphismes clairs et détaillés représentent à la perfection ces monstres iconiques du cinéma d'horreur, peut-être même trop bien d'ailleurs, on voit tout sous tous les angles, coupant définitivement tout lien avec les images fugaces, mystérieuses et angoissantes du chef d'oeuvre original de Ridley Scott.

Mais comme je disais plus haut, on est comme dans ses vieux chaussons, on sait déjà comment botter des culs et avancer dans le niveau. Quelques coups bien placés, on découvre un bonus sympa qui met l'accent sur la mitraille pour faire le ménage à grand renfort de corps brûlés à la Capcom (la même animation depuis Final Fight, c'est aussi pour ça qu'on aime ces gens) et on arrive déjà à son premier boss. Oh surprise, c'est un Alien plus gros que les autres et d'une couleur légèrement différente, ces japonais, quels hurluberlus, mais où vont-ils trouver des idées pareilles, je vous le demande.
Joli instant Kodak pour la pose de victoire des Predators, jambes fléchies, bras écartées, hurlant la tête en l'air. Comme dans le film, classe.

Et puis petit intermède animé pour faire avancer le scénar : nos héros vont tenter de quitter la ville en passant par les égoûts. Deuxième niveau ? Vous ne devinerez jamais... (spoiler) Les aliens sont là aussi ! C'est reparti pour les échanges de gnons et les déplacements savants pour éviter de se faire prendre en sandwich. Mine de rien, on commence à réaliser le petit détail qui fait la spécificité du jeu : une profusion d'armes à feu, fusils, lance-grenades et bien-sûr le laser à l'épaule des chasseurs extraterrestres rasta qui font bien le ménage dans les mêlées biomécaniques grouillantes. 

Le troisième niveau est un mini blast-em up sur le toit du véhicule blindé d'Aliens, le retour. On ne sait pas bien comment nos héros l'ont trouvé là, en plein milieu de la rue, mais c'est un clin d'oeil qui caresse encore un peu plus les cinéphiles dans le sens du poil. Panpanpan, corps brûlés, je vous passe les détails. Le scénar s'étoffe un peu plus tard  avec l'arrivée d'adversaires humains car oui (spoiler), un incroyable retournement de situation nous apprend que cette invasion est la faute de l'armée qui veut cultiver des aliens pour en faire des armes biologiques. Admirez au passage l'alienception du concept développé par Ridley Scott en 1979, repris par James Cameron en 1986 puis réutilisé ici-même en arcade en 94 avant d'être repris tel quel sur Resident Evil deux ans plus tard.

J'ironise, j'ironise, mais Alien vs Predator reste à ce jour solide et fun comme aux premiers jours et infiniment meilleur que toutes les suites ciné qui nous auront été infligées depuis trois bonnes décennies. Le jeu est rayonnant, fidèle à 100% aux designs hollywoodiens mais adaptant les visuels horrifiques au style manga inimitable de Capcom. Les indicibles étrangers deviennent des petites frappes agressives, le titan extraterrestre qui personnifiait la Mort est un complice joué par votre pote, les soldats prennent des rafales de fusil sans saigner et les cadavres sont des éléments de décors verdatres. Si la classification PEGI existait à l'époque, le jeu aurait été classifié 7 ans et plus avec une icône de coup de poing et une araignée.


Enfin, si vous avez assez de skillz ou de crédits pour arriver au bout, vous aurez mérité une jolie fin bien cinématographique qui nous promet une suite... Qu'on attend toujours avec impatience à ce jour. Monsieur Hollywood si vous me lisez, prenez des notes sur le travail des japonais. Monsieur Capcom, si vous me lisez, faites nous encore des adaptations comme ça et arrêtez de produire du ciné live, je vous en supplie.