On ne se moquera jamais assez de la politique commerciale de Capcom, les rois de la remballe, les artistes du copié-collé sur toutes les consoles, les funambules des demi-suites vendues au prix fort. Mais c'est oublier que le vénérable éditeur japonais a aussi fait sa carrière à force d'audace. Au début des années 2000, ils signent carrément un chèque en blanc aux meilleurs développeurs japonais du moment dirigés par Shinji Mikami pour la production de 5 jeux révolutionnaires réservés au GameCube de Nintendo. Tout le monde se souviendra de Resident Evil 4, les autres jeux auront, comment dire, une carrière moins exubérante.
Je vous reparlerai un autre jour de PN03 et son cul... son héroïne incroyable mais c'est le mouton noir de la portée qui nous intéresse aujourd'hui : le "Killer 7".
Alors déjà, comment expliquer Killer 7 ? J'y ai pas mal joué en son temps, je l'ai fini même plusieurs fois (je crois). Et pourtant la mémoire est floue et les mots me manquent pour définir adéquatement l'expérience vécue.
Prenons les choses une par une : c'est un jeu d'aventure urbaine où on est un assassin payé par le gouvernement pour éliminer la menace terroriste. Il y a de l'exploration et du combat à la 3ème personne, un peu comme Resident Evil, sauf qu'on se déplace sur un rail métaphorique : les déplacements sont limités au strict minimum : avancer ou reculer, ou changer d'embranchement. Ai-je précisé que les terroristes sont en fait des démons, et qu'ils sont invisibles ? En milieu de chemin si vous entendez un rire dément, arrêtez-vous et scannez le lieu. L'écran fixe passe à la première personne et fait alors apparaître de vilains humanoïdes qu'on élimine en visant leurs points faibles (comme les regeneradores de RE4 mais à peine moins flippants)
Explorer des donjons, tuer des bestioles, trouver des trésors. On a déjà fait ça des centaines de fois, mais certainement pas sous l'identité des "Smith", un clan d'assassins caché dans la tête du vieux Harman Smith, le plus grand tueur du monde, actuellement impotent en chaise roulante.
Je ne vous fais pas le détail mais chaque personnalité s'incarne tour à tour selon ses besoins et son propre pouvoir spécial. Un black, un irlandais, un luchador, une japonaise... L'intégralité du melting pot américain au service de la lutte contre le terrorisme infernal.
Vos alliés, vous en avez, il n'ont pas non plus oublié de se servir à la distribution des bizarreries. Un esclave en latex, un cadavre en pleine santé, la tête coupée d'une jeune femme qui parle en émoticônes (^_^), et l'infirmière Samantha qui oscille entre la sainteté et le sadisme un niveau sur deux.
L'identité visuelle du jeu, polygones bruts, lumières vives et contrastées, est forte et marquante, mais pâlit presque à côté du travail de l'ambiance sonore. Beaucoup de silence, une musique d'ascenseur à droite et à gauche, des rires démoniaques sur fond d'écho distordu, tout concourt à vous faire ressentir une terrible impression de solitude et de démence.
N'allez pas pour autant croire que c'est un jeu difficile à appréhender. L'action est toujours lisible, simple et épurée, parfaitement jouable. C'est l'univers foisonnant qui brouille les cartes, interroge sans jamais donner de réponse, organise le triomphe de la forme sur le fond. Avancer, tirer, explorer... L'expérience ludique classique devient ici expérience au sens propre, exploration hébétée, performance dans la "zone" à la recherche d'on ne sait quelle réponse pour justifier le tout (spoiler : vous n'en trouverez aucune, juste un fatras de trucs bizarres supplémentaires) 
A la sortie de Killer 7, le réalisateur Goichi Suda devient une célébrité à part entière de l'industrie sous le pseudonyme de Suda51. Les fans (il y en a) en veulent plus, toujours plus, et il va s'atteler à les satisfaire : No More Heroes, Shadow of the Damned, Lollipop Chainsaw, Killer is Dead... Autant de titres plus réputés pour leur réjouissante étrangeté que pour leurs réelles qualités ludiques. Mais bon quand on y pense, on engage pas David Lynch pour réaliser Camping 4, hein ?

La frontière entre le génie et l'escroquerie est ténue, donc. Killer 7 est de toute évidence une expérience réussie (à sa façon) mais on ne m'enlèvera pas de l'idée que Suda51 crée probablement un peu ses univers comme je rédige mes papiers : en catastrophe et sous l'influence de psychotropes.